RAMETTE Philippe
"Du corps aliéné au corps obsolète"
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Comme une tentative ultime et dérisoire de prendre en main le corps manipulé et obsolète de l'homme contemporain,
depuis une dizaine d'années Philippe Ramette, développe un travail de conception et de réalisation d'objets qui,
dans leur relation au corps, sont énoncés comme étant des "objets à réflexion" :
"Socle à réflexion", "Objet à voir le monde en détail", "Objet intolérable", "Objet à devenir le Héros de sa propre vie",
ou "Objet à voir le chemin parcouru",
ses oeuvres aux titres évocateurs, témoignent de la vision d'un corps obsolète.
Objets insolites, installations kafkaïennes, les oeuvres de Philippe Ramette ont toujours l'apparence de prototypes destinés à usage individuel ou collectif L'artiste est bien souvent le premier utilisateur de ses dispositifs. La photographie intervient dans son travail en tant que certificat de la fonctionnalité des objets: une preuve d'existence. Atypique, Philippe Ramette est un inventeur d'images décalées aux résonances métaphysiques,
prenons par exemple la photographie intitulée "Lévitation rationnelle"
Christian Bernard souligne que
"L'Homme selon Ramette fait
penser aux planches de l'iconologie classique: il se
présente appareillé, toujours munis d'attributs
qui en symbolisent l'histoire ou le destin (Cf. "Socle rationnel, hommage
à la mafia", ).
L'Homme de Ramette est moral, il se sait faible et mortel, il connaît les illusions communes et s'attache à corriger certains de ses défauts innés
(Cf. "Étranges Handicaps
(poil dans la main)
",).
Il peut ainsi se redresser ou s'incliner selon qu'il faille marquer la
dignité ou l'humilité.
Il porte sa propre prison et dispose d'une potence domestique.
Il peut s'isoler en enfermant sa tête dans une
boîte, il sait aussi manipuler le vide, voir le monde en
détail. Il réfléchit, juché
sur des échasses (…).
Ce pessimiste détaché n'est ni héros
ni prophète, ni victime ni bourreau, il est modeste et
pragmatique: l'action pure est sa vérité banale,
sa thérapie symbolique, son improbable catharsis - la forme
improbable de sa foi(...) Philippe Ramette nous entraîne dans
des excursions grinçantes et drôles à
travers nos miroirs qui se nomment naïveté,
ridicule et tragédie".(Christian Bernard
"Pourquoi on aime Philippe
Ramette", Beaux-Arts Magazine n°208, sept. 2001 pp68-69)
Déjouant les lois de la gravité(Cf. "Étranges handicaps (la crise d'apesanteur)", ), multipliant les points de vues, jouant de paradoxes, parfois surréaliste, souvent énigmatique, la démarche de Philippe Ramette met en jeu de manière subtile notre vision d'être au monde. Face à une réalité plus complexe et étrange que celle à laquelle on voudrait (nous faire) croire; dans une société fondée sur un bonheur idéalisé, alliant un retour au puritanisme à une libéralisation toujours plus affirmée dans tous les domaines, il devient de plus en plus difficile de revendiquer un droit à l'ennui, à la paresse, à la souffrance, à la différence, au coup de foudre
(Cf. "Fauteuil à coup de foudre", ).
Loin de toute l'asepsie véhiculée par les médias, de toutes "normalités" bien pensantes, c'est cette complexité que les oeuvres de Philippe Ramette donnent à voir. Elles engendrent cette nécessaire inquiétude qui amène à réfléchir sur notre conception et nos schémas hérités de l'éducation, de la famille et de la sexualité, mais aussi des tabous et non-dits de la société.
De
Façon plus générale...
Les
oeuvres de Philippe Ramette proposent souvent d'expérimenter
physiquement ce qui ne devrait être qu'un processus de
pensée : Boîte à isolement (1989),
Objet à communiquer avec soi-même (1992),
Espace à culpabilité (1993),
Casque miroir
(1996) etc.
"Les titres des oeuvres occupent une place importante de prescription,
donnant à ses objets une fonction d'usage mental et physique
pour une utilisation à venir." ( Pascale
Cassagnau: "Philippe Ramette, le
théâtre du vide", Art Press, no. 210,
février 1996.)
Ces sortes de sculptures-objets visent à modifier la perception que l'on peut avoir du monde tout en restant en relation directe avec le corps qui le manipule. Et agissent comme de véritables prothèses dont l'usage reste toujours potentiel : Prothèse à Humilité & Prothèse à Dignité (1992),
Potence préventive pour dictateur potentiel (1993) ou Karaoké pour dictateur potentiel permettant au spectateur, grâce à l'appropriation de la parole d'autrui et dans une mise à distance de soi, de prendre le rôle d'un dictateur haranguant une foule.
Les oeuvres de Philippe Ramette se présentent comme autant d'appareils ou de dispositifs à expérimenter:
Point de vue individuel portable ou plus récemment,
Éloge de la paresse I qui
propose à son utilisateur d'éprouver
physiquement un sentiment de "légèreté
mentale".
Le ballon, gonflé à l'hélium,
fonctionne également comme une sorte de boulet paradoxal
imposant à son utilisateur un rythme de
déplacement plus lent. L'objet a été
utilisé par l'artiste lui-même.
Dans la
photographie Éloge de la paresse I ,
Philippe Ramette nous tourne le dos et contemple le paysage, faisant
l'expérience d'un temps suspendu mais très bref :
le temps de sa résistance à la force du ballon.
Dans l'oeuvre de Philippe Ramette, le paysage, ici en l'occurrence la
mer, en arrière plan aux objets est aussi important que
l'objet lui-même. Il permet d'y inscrire le temps et ses
différentes modalités : le temps humain, le temps
provisoirement arrêté, l'attente.
En 1996, Philippe Ramette
réalisait Balcon I ,
première photographie d'une série de cinq ou six,
où lui-même encore en situation se maintenait
horizontalement au-dessus d'une tranchée creusée
dans la terre, cramponné au chambranle de bois
arrimé à cette ouverture, comme à une
fenêtre, avec en arrière plan les jardins
à la française du Château de Bionnay.
La photographie de cette performance est d'ailleurs
présentée à la verticale : la terre
devenant alors littéralement le mur, et le trou
creusé dans le sol, la fenêtre (A ce sujet se
référer à Cyril Jarton : "Philippe
Ramette ou l'autopsie du futur à la lueur du
XIXème siècle", Centre d'Arts Plastiques,
Saint-Fons, 1998) et l'artiste-sujet un être
dressé comme un souverain.
La seconde photographie de cette série,
réalisée en Asie en 2001, présente
l'artiste en position sur ce même balcon émergeant
sur les eaux de la baie d'Hong Kong,
Balcon II , représentant en second plan le paysage tout à fait reconnaissable de cette ville: montagnes, buildings, enseignes publicitaires, etc…
À travers
l'invention de ses objets ou de ses modules, Philippe Ramette trace un
portrait de l'artiste en acteur de soi-même, un portrait
anti-narcissique où le corps du démonstrateur et
l'objet de la démonstration sont mis à distance.
Une oeuvre dont la finalité n'est pas de pallier les
carences ou les handicaps, mais d'offrir au corps la
possibilité de toutes sortes d'extensions à
l'épreuve tant du monde que de lui-même.
Samantha
Barroero janvier 2004
Philippe
Ramette est représenté à Paris par la Galerie
Xippas